Le 12 mars dernier mourait Lazare Ponticelli, dernier ancien combattant de la guerre de 14-18, à l’âge de 110 ans. C’était le “Der”nier témoin de la “Der des Ders“.
Faut-il rappeler que cette guerre fit plus d’1.300.000 morts parmi les militaires “morts pour la France” ou “tués à l’ennemi”, selon la terminologie consacrée.
Notre village ne fut pas épargné, puisqu’on devait déplorer la mort de 6 de nos concitoyens, dont les noms sont gravés sur le monument aux morts du cimetière :
– Fernand Germain BINDELE, soldat de 2ème classe au 3 ème régiment de zouaves, tué à Souchez, dans le Pas-de-Calais, en juin 1915, à l’âge de 23 ans.
– Louis Emile Arthur BOUTEILLER, sergent au 129 ème régiment d’infanterie, tué à Guise (Aisne), en août 1914, à l’âge de 30 ans.
– Albert DUBOC, soldat de 2ème classe au 412 ème régiment d’infanterie, tué à Champneuville, dans la Marne, en août 1917, à l’âge de 32 ans.
– Louis Victor Joachim LEROUX, soldat de 1ère classe au 274 ème régiment d’infanterie tué à Cappy, dans la Somme, en février 1918, à l’âge de 40 ans.
– Edouard Louis MARCERE, soldat de 1ère classe au 294 ème régiment d’infanterie tué à Souain, dans la Marne, en octobre 1915, à l’âge de 23 ans.
– Henri Jules OUIN, soldat au 236 ème régiment d’infanterie tué à Tahure, dans la Marne, en octobre 1915, à l’âge de 33 ans.
Comme disaient les “va t’en guerre”, ils ne sont pas morts pour rien, les boches nous ont rendu l’Alsace et la Lorraine ! certes, mais à quel prix.
Imaginez ce que serait une liste de plus de 1.300.000 noms, à la suite des 6 vaudésiens ! et une liste de plus de 3.000.000 noms, celle des blessés…
Paradoxe de l’histoire, ce sont nos voisins allemands, qui avec les belges (wallons)… sont sans doute les plus francophiles des peuples européens.
Mon grand père, Fernand Piolé, qui avait fait 14, avait consigné ses souvenirs, à l’attention de ses petits-enfants, sur un bloc-notes. Il était brancardier, et la nuit, il allait faire “le coup de râteau”, c’est à dire ramasser les blessés sur le champ de bataille.
De cet opuscule, comme il l’avait qualifié lui-même, sont extraites ces quelques lignes :
Des journées et des nuits fortement employées ces temps-ci, en avant de Verdun. Il y a de la “casse”, malheureusement jours et nuits. le service de santé n’y tient plus, que grâce aux nerfs !
Voyages continuels dans les boyaux et les tranchées : des blessés, vieux ou jeunes, jusqu’au poste de secours où les médecins n’en peuvent plus et souhaitent comme nous la relève.
Il n’en est point question et dans cette “cagna” rudimentaire située au sous-sol, empuantie par les odeurs de sang, de teinture d’iode, il faut résister aux gémissements des mourants, aux exclamations d’indignation des pauvres blessés dont les plaies sont plus que vives.
Il faut avoir le coeur durement accroché, en attendant la venue dans la nuit, des brancardiers divisionnaires qui emporteront les plus atteints, … une odeur de “pourrissoir “ à laquelle on a hâte d’échapper afin d’aller à l’air libre.
Ce n’est pas terminé, il s’en faut, car la nuit s’en étant venue, “le coup de rateau” va débuter, les équipes sont constituées, et je dois partir avec mes camarades C. G. et H., nantis que nous sommes de deux brancards encombrants pour ramper sous les fils barbelés et parmi les trous d’obus toujours plus nombreux, car le terrain change d’aspect de minute en minute…
Nous trouvons dans le premier trou d‘obus deux blessés sérieusement atteints, paquets de pansements, teinture d’iode, etc, quand à moins de deux mètres de nous, un obus de 77 de “nos amis allemands” nous éclate aux fesses. Le 1er blessé reçoit un deuxième éclat de ce funeste envoi…et notre ami C. tombe sur les genoux, alors qu’il procédait à l’allongement de ce dernier sur le brancard. Nous nous précipitons H. et moi-même pour constater qu’un “schrapnell” lui était entré dans le dos, au-dessous de l’omoplate, côté cœur.
Nous l’installons sur l’autre brancard, après les premiers soins, et en position sur le ventre. Après avoir promis au camarade G. de lui envoyer du renfort pour le 2ème blessé , nous partons avec cet infortuné ami jusqu’au poste de secours de 1ère ligne.
Après l’avoir longuement examiné, le médecin auxiliaire auquel j’avais posé de multiples questions, m’affirme en termes militaires bien pesés “il est foutu, son cœur a été atteint… rien à faire”. Alors, pendant 35 minutes (c’est court, mais c’est très long) … le brancard est rendu pour d’autres destinées, notre ami C. est sur la terre où il geint.
Tentatives de réconfort, alors que sur le ventre bientôt il nous rétorque : “je suis foutu…je viens de l’entendre!” et faisant des efforts désespérés pour se soutenir sur ses bras , “”je vous donne pour mission de raconter à mon père comment je suis mort, lui qui a déjà connu la mort de mon frère aîné à la guerre, et d’avertir ma fiancée, leur dire que ma dernière pensée fut pour eux”
Et bientôt, après ces poignants instants, notre ami C. était mort !.
Paradoxe de l’histoire, “nos amis allemands” sont sans doute aujourd’hui, avec les belges (wallons…), nos voisins les plus proches, dans tous les sens du terme…
Pierre Villalon
Sources : site Internet memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr & Fernand Piolé : Souvenirs de 1914-1918, 1974